Quand lecture rime avec culture

 par  Marie-Joëlle Bouchard

Depuis quelques années, les différentes enquêtes PISA montrent que si la France se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE et que si son école est efficace pour une grande majorité de ses élèves, près de 20% d’entre eux cumulent des difficultés, notamment en lecture et en compréhension de l’écrit. Cette enquête révèle, de plus, que le milieu social dont les élèves sont issus conditionne de plus en plus leur réussite scolaire et que les inégalités, à l’école, se creusent.

Personnes, Père, L'Homme, Lecture, Livre

Livres, Garçons, Forêt, Parc, Millésime

 Ce sont ces 20% d’élèves qui sont en difficulté dès le CP et tout au long de leur scolarité obligatoire, qui sont peu nombreux à poursuivre des études dans de bonnes conditions, qui ne possèdent pas les compétences leur permettant de participer de manière efficace à la vie en société. Ce sont des jeunes qui ont peu de chance de devenir de grands lecteurs, éprouvant du plaisir à lire, fréquentant les lieux de culture et développant des connaissances et des capacités par ce biais.

L’annonce de mesures pour développer la lecture en France m’amène à vous faire part de mon expérience en la matière. J’ai été confrontée à ces problèmes de lecture, au début des années 1980, lorsque j’ai été nommée directrice d’une école maternelle, dans une ville de la banlieue du sud-est de Lyon, en charge d’une classe de Grande Section. Sachant que dans les années précédant ma nomination, 20 à 25% des enfants de cette école redoublaient le Cours Préparatoire et voyant que cela touchait les enfants de milieux socio-culturels défavorisés, pour chercher à y remédier, je me suis posé plusieurs questions.

 Quels sont les enfants qui, a contrario, n’ont pas ou peu de problème d’acquisition de lecture et de compréhension de l’écrit ?

 Ce sont des enfants :

  • qui ont un bon niveau de langage, qui s’expriment aisément, qui utilisent un langage qui n’est pas seulement utilitaire mais aussi un langage d’explication, d’évocation…
  • qui ont été familiarisés très tôt avec les livres, avec le langage de l’écrit grâce à de nombreuses histoires lues en famille
  • qui ont l’habitude de parler, de poser des questions, d’émettre un avis…
  • qui ont obtenu des réponses à leur questionnement, notamment concernant les histoires : le fond (le sens) et la forme (les mots et leurs éléments constitutifs)

 Ce sont des enfants :

  • pour qui l’écrit n’est pas seulement un objet d’apprentissage mais un objet de plaisir et même de plaisir partagé
  • pour qui l’écrit n’est pas abstrait mais porteur de sens
  • pour qui l’écrit est un « objet d’étude » (métalangage)
  • qui bénéficient de stimulations intellectuelles ; ils ont eu très tôt des jeux éducatifs, ils utilisent un ordinateur…"

 En résumé : ce sont des enfants qui ont une bonne maîtrise de la langue ; qui n’ont pas peur de prendre la parole ; qui sont à l’aise dans l’univers des livres et de l’écrit ; qui comprennent ce qui leur est dit, demandé ou lu ; qui ont des connaissances concernant le code alphabétique avant même l’apprentissage systématique en école élémentaire ; qui ont acquis des compétences lorsqu’ils ont appris à parler et les ont transférées à la compréhension de l’écrit…

 Ce sont des enfants de milieu social et culturel dit favorisé, ayant des parents « éclairés », attentifs à leur éveil et à leur développement langagier et culturel, dès leur plus jeune âge.

Comment pallier les manques et procurer à tous ce qui n’est donné qu’à certains ?

 "C’est dès le plus jeune âge qu’il faut combattre les inégalités. Par conséquent, l’école maternelle a un rôle important à jouer. C’est là, dès la Petite Section, qu’il faut mettre en place des situations analogues à celles qui sont naturelles dans la plupart des familles."

" Dans le livre que j’ai publié en 1991 intitulé « Apprendre à lire comme on apprend à parler » (Hachette Education – Pédagogie pour demain), il était question du plaisir que procure aux enfants de 5-6 ans, en Grande Section, l’entrée dans le monde des livres et des histoires ; le plaisir de parler sur les images, les textes et les mots ; celui de percer le mystère des signes écrits."

 Ce livre décrivait la découverte par les enfants, à travers les mots, des fonctions et du fonctionnement de notre système de lecture-écriture,et leur progression en six étapes dans cette connaissance du code alphabétique, grâce aux situations de lecture-écriture mises en place. Il abordait la manière de développer le langage oral en même temps que la compréhension du langage écrit.

 A savoir : 

  • Développer le langage oral en faisant s’exprimer les enfants sur les images des livres vus (les albums illustrés), sur les textes et les mots des histoires lues. Ce qui permet de développer un langage riche, de travailler ensemble sur le déroulement, sur la construction et sur la compréhension des histoires ; de mettre en relation les personnages, les actions, les lieux, les situations, les événements, les sentiments… De procéder ensemble à l’« analyse » des textes et des mots tant sur le fond (le sens) que sur la forme (les éléments du code écrit : lettres, syllabes et sons)
  • Lire de nombreuses histoires et contes en les faisant participer activement à leur compréhension
  • Les faire se poser des questions et chercher ensemble à y répondre
  • Partir de mots écrits représentant des personnes ou personnages importants affectivement pour eux (les prénoms de l’ensemble du groupe, les noms des personnages d‘histoires lues…)
  • Pratiquer des jeux de lecture : jeux d’identification, de discrimination de ces mots en procédant par comparaison, analogie, déduction… et des jeux d’écriture, de manipulations d’étiquettes (de mots, de lettres, de syllabes...)
  • Faire acquérir la lecture grâce à un apprentissage en groupe où tous s’expriment, s’écoutent et collaborent activement à la recherche commune, tant sur le code que sur la compréhension. Chercher et trouver ensemble peut devenir ainsi pour tous un plaisir, sans jugement de valeur.
  • Proposer des jeux de société, des jeux éducatifs, des jeux de mémoire (visuelle et auditive), à base de cartes comportant dessins et mots écrits correspondants.

 Ce sont toutes ces préconisations qu’il faut suivre à la fois à l’école et même hors de l’école ce qui demande d’avoir une conception générale de la lecture : 

 On peut considérer qu’en fonction de l’idée que l’on se fait de l’écrit, on privilégie une conception plutôt qu’une autre de la lecture et de son acquisition. 
En général on conçoit l’écrit comme un code de transcription des unités sonores du langage, et donc l’apprentissage de la lecture comme une technique combinatoire à acquérir, à partir des correspondances phonèmes-graphèmes. Cet apprentissage systématique devant conduire à un déchiffrage et à une compréhension automatique. 
Une autre conception peut être envisagée, où l’écrit est considéré comme une représentation mentale du langage.
Or ces deux conceptions sont à prendre en compte si l’on veut développer en même temps le déchiffrage et la compréhension.

Il s’agit de travailler simultanément sur la compréhension des mots et des textes lus, et sur la découverte du code alphabétique dès l’entrée à l’école maternelle. L’important est le plaisir que procurent la lecture et la compréhension des histoires, en même temps que le développement de compétences langagières, intellectuelles et culturelles nécessaires à cette compréhension. La découverte du fonctionnement du code alphabétique peut se faire très progressivement, à partir de l’analyse visuelle puis auditive de mots importants pour les enfants. Cette phase d’ « analyse », qui fait prendre conscience des différents éléments constitutifs des mots et de leur organisation, en maternelle, se poursuit par la phase de « synthèse » en élémentaire.

 Ce qui demande d’entrer, dès le début, dans la complexité de la lecture et de mener cette acquisition sur un temps long et donc au-delà du temps scolaire et en dehors du seul lieu que représente l’école.

 Marie-Joëlle Bouchard, 
directrice d'école honoraire, auteure de

  • Apprendre à lire comme on apprend à parler" - HACHETTE Education, Pédagogies pour demain - 1991
  • L’apprentissage de la lecture, une nécessité constante, une recherche permanente » CRDP de Lyon - 1987.