Sentiments connus, Visages mêlés, clap de fin du Printemps
En clôture de ce très riche Printemps des Comédiens 2017 où toutes les tendances et affinités générationnelles du théâtre en questionnement étaient représentées - texte, suite de saynètes, circassien - l'œuvre de Marthaler s'essayait à une synthèse de toutes ces problématiques. De la pièce de Botho Strauss de 1977 jouée à la Schaubühne de Berlin dont il reprend le titre : "Sentiments connus, Visages mêlés", il garde le thème de la solitude, de l'enfermement des êtres sur eux-mêmes. Déjouant l'espace et le temps, tous deux mettent en scène la vie désorientée de notre société.
Dans un théâtre monté sur la scène de celui de J.C. Carrière dans le même esprit qu'Ariane Mnouchkine l'a fait pour "Une Chambre en Inde", se déroule une suite de saynètes dont l'intrigue significative serait selon la présentation distribuée à l'entrée : les adieux joués par de nouveaux comédiens à d'anciens qui quittent la scène de la Volksbühne.
Le spectateur voit entrer sur scène un porteur amenant un à un des emballages d'où l'on entend sortir de la musique avant de voir s'extirper des comédiens-personnages très caractérisés : musicien chaplinesque, passionné, virtuose, diva, cabotine, espiègle, effronté, tous plus burlesques les uns que les autres. Ils vont et viennent sur la scène ne semblant pas se voir, passant, grâce à une chorégraphie subtile, d'un one man show à de très belles scènes de groupe où ils entonnent de grands classiques musicaux comme "Laschia ch'io Panga" de Haendel ainsi que le "va pensiero" de Verdi, "An die musik" de Schubert entre autres. Le rôle éminemment dramatique de la musique et la chorégraphie de Marthaler les soudent et poétisent leurs actions. De paroles, il y a peu. Souvent incohérentes, sous forme d'adages ou extraites du quotidien le plus prosaïque, elles semblent cependant, renforcées par celles très édificatrices des chants, distiller des leçons de vie : malgré la vie qui passe regarder devant soi avec optimisme, s'attacher à la vie simple. A coup de touches subtiles, Christoph Marthaler construit des personnages profondément humains tournés vers leur propre accomplissement mais sans oublier leur appartenance au genre humain avec leurs partenaires mais aussi avec le public pour lequel ils effacent le quatrième mur, assis sur des chaises le fixant dans une communication muette durant deux longues minutes. Ce spectacle construit donc une histoire, celle de la passation d'une génération à une autre
Une belle leçon d'humanité et de théâtre et un très beau spectacle de clôture de cette 31e édition du printemps des Comédiens. Tous nos remerciements à ceux qui ont œuvré pour cette réussite.
Publié le 1er juillet 2017 par A.K.