« Democracy in America » de Romeo Castelluci
Jeudi 15 juin 2017, les spectateurs sont sortis fort perplexes du théâtre Jean Claude Carrière où ils avaient assisté à la dernière création de Romeo Castellucci « Democracy in America » présenté en avant-première à Montpellier.
Le spectacle, constitué d'une suite de tableaux est d'une grande puissance esthétique que ce soit sur les plans visuels ou sonores mais fort mystérieux quant au sens qu'il recèle. "C'est le spectateur qui, au final, construit le sens selon ses ressentis, sa culture et ses aspirations," répond le metteur en scène. Umberto Eco, dans « Lector in fabula » ne dit pas autre chose. Cependant, si l'on s'appuie sur l'œuvre qui a inspiré le metteur en scène : le livre d'Alexis de Tocqueville « De la Démocratie en Amérique », le spectateur peut trouver des pistes de réflexion. L'une d'elles est l'importance de la langue et de la compréhension entre les humains. L'ouverture uniquement sonore avec cartouches informatifs sur les propos entendus disserte sur l'approximation des significations des langues avant d'approfondir la réflexion en jouant avec les différents anagrammes qu'offre le titre de la pièce et dont chaque lettre est portée par l'une des dix-huit comédiennes de la troupe qui ne compte aucun homme même pour les rôles masculins : choix de l'auteur...
Une réflexion complexe sur l'Amérique
La démocratie américaine n'a pas le même sens que la démocratie athénienne car elle a été fondée sur une théocratie par les premiers pèlerins qui étaient des calvinistes puritains. Puritanisme évoqué par le tableau éminemment tragique du couple obligé de vendre son enfant pour continuer à vivre. Ensuite, d'une scène de brouillard sortent, flous, de magnifiques tableaux de danses sacrificielles ou orgiaques qui laissent voir l'enfant vendue aux mains de ce qui semblent être des aristocrates précieux. Puis toujours derrière ce rideau, sorte de nuage transparent qui embrume l'image, d'autres danses semblent diviniser le symbole de la construction de la « démocratie » aux Etats-Unis dont les dates essentielles défilent dans le désordre sur ce rideau d'avant-scène.
Ce sont ces tableaux qui ont le plus marqué chaque spectateur par leur beauté. Dans la dernière scène, deux indiens discourent sur le langage. Et les propos qui terminent leur dialogue portent sur l'irréductibilité du langage : « ils n'ont pas de mots pour nos choses », « Nous n'avons pas de mots pour leurs choses ». Et donc sur la frontière entre les hommes qui peut devenir violence - ce qu'elle sera avec l'extermination des indiens par les blancs - ou richesse si l'on dépasse cette fracture linguistique. Ce thème de la langue était aussi l'enjeu de la pièce « Lenga » de Christophe Rulhes du GdRA donnée peu avant au Printemps des Comédiens 2017. Thème éminemment actuel si l'on s'intéresse aux rôles que jouent dans notre société la vérité, le mensonge, le réel et la virtualité.
Prochains spectacles Songes et Métamorphoses, de Guillaume Vincent et la Cie Midiminuit. Printemps des Comédiens à Montpellier du 23 au 25 juin.
Publié le 22 juin 2017 par A.K.