Lenga, un spectacle inédit au Printemps des comédiens.
Que voilà un spectacle inédit au Printemps des Comédiens et qui retrouve un des objectifs premiers du théâtre contemporain : alerter, dénoncer !
L'objet de cette manifestation ? Attirer l'attention sur la perte de la langue et des langues en symbiose avec celle de la biodiversité. La langue? quel beau sujet de théâtre ! Cette pièce est du GdRA/ Christophe Rulhes/ Julien Cassier chorégraphe, groupe variable à la croisée des disciplines qui s'est spécialisé dans les écritures scéniques sur les thèmes de l'Anthropocène et des enjeux écologiques qui nous attendent.
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La langue française aujourd'hui
Sur un projet de Christophe Rules, occitan, anthropologue, Julien-Cassier, scénographe et artiste, ouvre le spectacle avec des sonnailles agitées par les mouvements de son corps perçu comme premier producteur d'expressions sonores. Stupeur, délaisserions-nous le premier outil de notre humanité, notre corps et ses multiples fonctions ? Qui n'a pas constaté une perte de la langue qui commence avec l'affaiblissement de l'articulation et du souffle chez les jeunes générations ! Et ne parlons pas du vocabulaire. Mais cette perte, ne serait-elle pas aussi le résultat d'une paresse ou d'un désintérêt croissant pour notre moyen d'expression le plus élaboré. Et plus encore, ne s'insinue-telle pas aussi au théâtre même où la parole-reine laisse de plus en plus souvent la place au « théâtre sans paroles ».
Ne serait-ce qu'en ce Printemps des Comédiens 2017 : le théâtre de texte ne représente plus que les 2/3 des spectacles. Quant à la saison d'hiver du Domaine d'Ô annoncée pour 2017-2018, sur vingt-neuf spectacles, il n'y en a plus que cinq peut-être y en aura-t-il six, les vingt-trois autres étant des concerts - dix - non-dépourvus de textes puisqu'il s'agit de chansons « Un art, certes, mais mineur » (Mario Vargas Llosa), des spectacles circassiens (douze) et deux pièces de « théâtre sans paroles ».
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Un constat
Exploitant tous les moyens d'expression actuels : videos, enregistrements audio, musique, performances acrobatiques, récits, le spectacle ne cherche pas à toucher notre sensiblerie mais nos facultés d'analyse, de comparaison, de synthése pour nous faire comprendre la tragédie qui se joue insidieusement avec la mondialisation, origine de l'extinction des langues et donc de toute biodiversité. Mais aussi extinction des particularités ethniques qui font la richesse de notre humanité. En 2 100, 50% au minimum des 6 700 langues dans le monde auront disparu.
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Un spectacle arc-en-ciel
Le spectacle met en scène deux performers Africains, Maheriniaina Pierre Ranaivoson d'origine Malgache Merina-Betsiloe et Lizo James sud-Africain Xhosa qui racontent dans leur langue respective (celle à « clics » pour Lizo qui rendit si célèbre le film « Les Dieux sont tombés sur le tête ») leur parcours, leur initiation (pour Lizo) et leur filiation à partir de leurs arrière grands-parents. Mais ce sont surtout leurs grands-mères, deux très belles figures de femmes qui ont assuré la transmission de leurs valeurs. Participant au spectacle vivant au moyen de la video, les récits de leur propre parcours fait de ténacité, de dignité, de lutte pour la liberté et surtout d'amour insatiable pour leurs enfants forcent notre admiration. Lizo et Maheriniai sont acrobates parce que dans les quartiers où l'exode rural ou l'autorité des puissants avait amené leurs familles, c'est l'acrobatie qui leur a permis de se réaliser.
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Mais en creux, ils évoquent ceux qui sont restés en brousse, seuls et toujours de moins en moins nombreux à protéger la diversité biolinguistique. Quelle fraîcheur lorsqu'un scientifique bouscule avec de fortes réalités les idées souvent très conventionnelles et philosophico-littéraires de cette vieille institution qu'est le théâtre contemporain !
Printemps de Comédiens du 8 au 10 juin 2017.
Prochain spectacle du 13 au 17 juin « les Grands Cyprès »
Publié le 12 juin 2017 par A.K