LES GRANDES CHANSONS FRANÇAISES
Le temps des cerises par Cora Vaucaire.
Née le 22 juillet 1918 à Marseille, Geneviève Collin, dite Cora Vaucaire fait ses débuts en interprétant sur scène les poètes Jacques Prévert et Louis Aragon. Considérée comme la créatrice du classique « Les Feuilles mortes » qu'elle dit avoir interprétée avant Yves Montand, elle défend le répertoire d'une jeune artiste inconnue nommée Barbara, dont elle chante « Dis quand reviendras-tu » et que ma joie revienne », et l'incite à se produire elle-même. Dans les années cinquante, Cora Vaucaire se fait aussi l'interprète de Léo Ferré avec « Le Pont Mirabeau », d'après le poème de Guillaume Apollinaire, ou « Les Forains ».
Le répertoire de Cora Vaucaire, mariée au parolier Michel Vaucaire, s'étend bien au-delà de ses contemporains. La chanteuse surnommée « La Dame Blanche de Saint-Germain des Prés » interprète aussi bien des airs du Moyen-Âge que des vaudevilles de Fragson (« Je ne peux pas ») ou Yvette Guilbert (« Quand on vous aime comme ça »). En 1955, elle chante « La Complainte de la butte » dans le film French Cancan de Jean Renoir, et en 1961, obtient son plus grand succès avec « Trois petites notes de musique », extrait du film Une aussi longue absence d'Henri Colpi.
Cora Vaucaire est aussi connue pour son engagement en chansons à travers son interprétation de l'hymne « Le Temps des cerises » et de « L'Internationale » devant les usines en grève lors des manifestations de Mai 1968. Représentante d'une chanson française de qualité qu'elle exporte jusqu'au Japon (sa tournée nipponne dans les années 1980), Cora Vaucaire se produit sur scène jusqu'à un âge avancé, comme en témoignent ses tours de chant au Théâtre Dejazet en 1992, à la Comédie des Champs-Élysées en 1997 et aux Bouffes du Nord en 1999. Atteinte d'ostéoporose depuis plusieurs années, Cora Vaucaire décède à Paris le 17 septembre 2011, à l'âge de 93 ans.
Antoine-Aimé Renard, né le 15 février 1825 à Lille (Nord), décédé le 9 mai 1872 à Paris, est un ténor d'opéra français, connu surtout pour avoir composé la musique du "Temps des cerises", la célèbre chanson de Jean-Baptiste Clément.
Il est des airs ou des chansons qui, historiquement, s’identifient à des événements qu’ils ont en général accompagnés. Pour certains (« La Marseillaise », « Le chant des partisans »), le doute est impossible, mais ils s’en trouvent d’autres qui s’avèrent être des légendes construites après coup et que l’examen historique débusque. L’un des exemples les plus emblématiques est le lien établi apostériori entre « Le temps des cerises » et la Commune de Paris, pour la raison très simple que cette jolie romance a été composée cinq ans avant les tragiques événements parisiens et qu’il faut beaucoup d’imagination pour trouver une relation entre ses paroles et les massacres de mai 1871.
Comment concevoir en effet que « les belles [aient eu] la folie en tête et les amoureux le soleil au cœur » sur les barricades de la Semaine sanglante, tandis que « rossignol et merle moqueur » se seraient sentis « tous en fête« ? Et était-ce vraiment le moment « où l’on s’en va deux cueillir en rêvant des pendants d’oreilles« ? Qu’importe, de subtils décodeurs ont lu entre les lignes : ils ont découvert que les cerises sont comparées à des « gouttes de sang » et qu’il est recommandé « d’éviter les belles« , formulation qui dissimule en fait « éviter les balles »… » Le temps des cerises » est un texte crypté ! D’ailleurs, l’auteur ne garde-t-il pas au cœur, « de ce temps-là (…) une plaie ouverte« ?
Et si la réalité était plus simple ? " Le temps des cerises" écrit par le chansonnier Jean-Baptiste Clément en 1866, dans une auberge de l’Oise, alors qu’il partait pour la Belgique, s’inscrit dans un genre très français renouvelé de siècle en siècle : la romance exprimant en termes poétiques un chagrin d’amour. On l’a souvent rapproché d’un autre grand succès composé quatre-vingts ans plus tôt par Jean-Pierre Claris de Florian, " Plaisir d’amour " . Dans les deux cas, l’auteur se plaint de l’inconstance d’une belle, suggérée chez Clément, nommée chez Florian (« l’ingrate Sylvie« ). Et la « plaie ouverte » du « Temps des cerises » est bien clairement désignée comme peine d’amour. Il n’y a pas trace de politique là-dedans.
D’ailleurs, quand l’éconduit du « Temps des cerises » envisage ce qui serait susceptible de calmer sa douleur, il suppose que « dame Fortune » pourrait lui être offerte, ce qui ne semble guère compatible avec une attitude révolutionnaire. « Le temps des cerises » est une jolie et mélancolique chanson d’amour qui connut en son temps un réel succès et qui demeure d’ailleurs, un siècle et demi plus tard, la seule composition qui ait échappé à l’oubli d’un auteur par ailleurs assez prolixe.
D’abord, d’où vient-elle, cette légende? Jean-Baptiste Clément était indiscutablement un homme engagé et il participa effectivement à la Commune de 1871. En 1882, par sympathie (et peut-être parce qu’il en avait été fugitivement amoureux), il dédicaça son grand succès à une infirmière inconnue rencontrée pendant les combats et nommée Louise. De là à faire du « Temps des cerises » un hymne révolutionnaire, il y a de la distance. Elle a été franchie au XX° siècle et a sans doute assuré la survie de la romance, chantée par tous les artistes se déclarant de gauche et littéralement réactualisée lors de l’élection de François Mitterrand en 1981. Qu’importe s’il faut se livrer à des contorsions compliquées pour trouver un sens politique au ton élégiaque des paroles, « le temps des cerises » est devenu un chant de ralliement.
C’est d’autant plus étonnant que, précisément, Jean-Baptiste Clément avait tiré de son expérience de communard une autre chanson, réellement engagée, celle-là : « la semaine sanglante« . Les paroles sont d’une autre portée que la bluette du « temps des cerises« . « On traque, on enchaîne, on fusille« , dénoncent-elles. « Sans pain, sans travail et sans armes / Nous allons être gouvernés / Par des mouchards et des gendarmes / Des sabres-peuple et des curés« . Et le refrain sonne comme un appel : »Et gare à la revanche / Les mauvais jours finiront / Quand tous les pauvres s’y mettront« !
Bizarrement, plus personne, hormis les historiens, ne connaît ce brûlot révolutionnaire, mais on persiste à croire que les soupirs d’un amant déçu qui avait vécu de si doux moments à cueillir des cerises avec sa belle sont un appel à l’insurrection.
Peut-être cela convient-il mieux à nos sociétés apaisées, où même les émeutes s’apparentent à des jeux de rôle. Ne nous en plaignons pas : aujourd’hui, un mort lors d’une manifestation est une affaire d’État. Il y a 150 ans, la Commune de Paris en avait compté plus de 20.000 en une semaine…
Philippe Raybaud.