Le maire de Montpellier défend et réaffirme le principe de laïcité comme valeur fondatrice
Michaël Delafosse, Maire de Montpellier et Président de Montpellier Méditerranée Métropole.
"Une laïcité qui écrase ? La gauche doit se réveiller face aux concessions"
Publiée sur le site de Marianne le 01/02/2022 à 15:38
« La laïcité n’écrase pas, mais nous protège, indistinctement de notre religion, de notre origine, de notre niveau social. Elle protège de ceux qui eux-mêmes écrasent les individus parce qu’ils sont femmes, homosexuels ou athées. Elle protège de ceux qui écrasent les valeurs de la République et les libertés fondamentales.
Ce n’est pas la laïcité qui écrase, mais les comportements que sa modération tolère. Est-ce que la laïcité écrase quand elle refuse qu’un enfant n’assiste pas à un cours de théâtre ou de piscine à l’école ? Est-ce qu’elle écrase quand elle interdit l’école religieuse à la maison ? Est-ce qu’elle écrase quand elle promeut la liberté d’expression ?
C’est parce que la gauche n’a pas porté suffisamment fort la laïcité qu’elle a laissé le fanatisme s’immiscer dans le clair-obscur de son silence. Il ne peut pourtant y avoir de petits arrangements avec la laïcité. Si affirmer que la laïcité écrase revient à l’écraser, c’est parce que toute nuance atteint l’universalisme de l’intérêt républicain, en ouvrant une brèche là où seule la clarté est possible. Les mots ont une valeur : le principe de laïcité n’admet pas de demi-mesure, au risque de céder aux tentatives d’emprise sur la sphère publique exercées au nom de la religion.
Le monde est fragilisé par le retour de l’obscurantisme et ceux qui, par le poids des religions, veulent atteindre nos acquis. Notre pays, notamment, a été la cible de tant d’attaques meurtrières au nom de la religion. Il est aussi en danger, plus sournoisement, lorsque les religieux défendent que leur loi est supérieure à la loi de la République, dans l’espace public comme privé. Nous ne devons pas fléchir sous les coups, ni céder à la peur. Nous ne devons renoncer à rien, ni tolérer aucun accommodement avec ce principe. Parce qu’on ne s’accommode pas avec les principes, au risque que la République et, avec elle, les libertés, nos libertés, reculent.
Nuancer la laïcité, c’est, sous couvert d’un clientélisme inavoué, faire preuve de faiblesse face à la dérive communautariste ; celle qui souvent ne porte pas son nom et se dissimule dans ses objectifs. La gauche doit veiller sans cesse à ne pas s’y égarer par son silence ou par des compromissions. Elle doit se réveiller face à la facilité de l’abandon, car il a pour effet de mettre des conditions et des fragilités à la lutte contre le fanatisme et l’intolérance des intégristes. La gauche doit s’unifier autour de ce seul ennemi, car les tyrans ne tiennent leur pouvoir que de la peur qu’on ne leur obéisse plus.
Nuancer le principe de laïcité revient à accréditer la thèse très en vogue selon laquelle la laïcité exclurait. En tant que valeur émancipatrice, elle ne peut être utilisée par certains comme un glaive ou comme un moyen d’exclure. Réduire la question de la laïcité au débat des empathiques humanistes contre les dogmatiques identitaires est une impasse : elle a pour effet d’alimenter la panne idéologique sur laquelle naviguent les extrémistes. La laïcité est profondément sociale, parce qu’elle émancipe sans distinction. La position qui consiste à nuancer cela, sous couvert du monopole de la défense des plus précaires, est une illusion.
La laïcité est le ciment de notre société. Puisque l’humanité ne fait qu’une, au-delà du genre, de la religion ou des origines de chacun, il est fondateur et unifiant d’appliquer à tous les citoyens le même corpus de valeurs, de principes et de règles. Certains essaient de qualifier la laïcité : ouverte, fermée, accommodante, à la française. C’est inutile. C’est la dévoyer. C’est dangereux. C’est permettre qu’elle soit détournée de son sens. C’est laisser de la place à celles et ceux qui la contestent, à commencer par les fanatiques, les obscurantistes.
Voltaire prônait, en réponse au fanatisme, l’éveil des consciences par la philosophie, seul remède à la folie des hommes. Il défendait lui-même qu’il fallait « écraser l’infâme », compris comme la superstition, le fanatisme. C’est ce que font les professeurs dans leurs classes quand ils transmettent aux élèves l’héritage des Lumières, de Voltaire, de la Révolution, de Jaurès et de Clemenceau. Ils ne les écrasent pas, ils les émancipent. Cet héritage, nous devons le défendre. Je plaide pour créer un délit qui viendrait sanctionner qui de droit lorsque les professeurs ne sont pas soutenus par leur hiérarchie. C’est l’accompagnement global qui doit être renforcé. Lorsque des professeurs sont laissés seuls en difficulté sur ce sujet – trop souvent –, c’est aussi par manque de formation, de consigne ou de sensibilisation. C’est par tabou ou parce que trop de nuances ont été apportées dans l’application du principe de laïcité.
Quand les dérives communautaristes ont gangréné, la gauche a répondu par l’émancipation et le progrès. C’est son devoir aujourd’hui de porter la laïcité pour éviter cet enfermement. C’est sur tous les terrains qu’il faut être vigilants, et rappeler sans cesse les limites : si on stigmatise, ce n’est pas la laïcité ; si on exclut, ce n’est pas la laïcité ; si on fait du prosélytisme, ce n’est pas la laïcité.
Tant d’exemples dans nos territoires montrent qu’un chemin d’apaisement est possible, parce qu’en faisant vivre très concrètement la laïcité, nous renforçons l’intégration de toutes et tous. Elle ne peut se résumer à une injonction, mais doit se traduire en actes.
A Montpellier, nous avons instauré une Charte de la laïcité pour toutes les associations percevant une subvention publique, car la grande loi de 1905 doit être sans cesse et aujourd’hui plus que jamais affirmée. Cette Charte permet de promouvoir toutes les grandes émancipations qui ont été gagnées de haute lutte après cette date : l’égalité femmes-hommes, les droits pour les couples homosexuels, pour les enfants de ces couples.
Nous avons mis en place le soutien public, laïque et gratuit dans toutes les écoles de la ville, afin de renforcer l’école publique et éviter la concurrence des cours du soir par des chapelles religieuses. En redonnant le choix aux familles, notre ambition est de lutter contre la tentation de délaisser une partie de l’éducation à une autorité qui promeut l’obscurantisme, qui enseigne avec la loi de Dieu et non avec la loi de la République.
Nous avons empêché la prise de contrôle directe d’un lieu de culte français par un État étranger, en faisant valoir notre droit de préemption, alors que se préparait dans une mosquée montpelliéraine la création d’un « centre culturel » avec des financements sur lesquels nous n’avions pas de visibilité. C’était une question de principe, et une décision que je crois protectrice également pour les fidèles montpelliérains, pour qu’ils puissent continuer à pratiquer leur religion dans la sérénité. Je suis pour un islam de France, porté ici par les musulmans de Montpellier qui sont et demeurent les dépositaires de leur culte. Pour cela, je défends qu’une autorisation administrative soit délivrée avant toute ouverture d’un lieu de culte ou d’une école privée hors contrat afin de mieux contrôler les financements étrangers.
Sachons être collectivement dignes de notre héritage puissant au pays des Lumières, qui n’admet aucune compromission face au principe de laïcité, si fondateur, si structurant, si important. Nous le devons en tant qu’élus aux citoyens à qui la gauche fait la promesse d’une République qui protège. Christiane Taubira a assurément fait une maladresse révélatrice de la situation dans laquelle la gauche se trouve. C’est une maladresse, bien sûr, parce qu’elle-même a lutté contre le dogme religieux qui interdisait à deux hommes ou deux femmes de s’aimer. Il est de la responsabilité de chaque candidat à la magistrature suprême d’être clair dans ses positions, pour retrouver le chemin de l’unité et de l’apaisement.»
Michaël Delafosse, Maire de Montpellier et Président de Montpellier Méditerranée Métropole.