Molière : le double jeu ?
Né il y a quatre cents ans, mort brutalement en 1673, Molière est, selon les dires des spécialistes, "le plus illustre de nos inconnus". Car il n'existe pas d'édition de ses œuvres et aucun manuscrit autographe n'a été retrouvé. Lui prêter une stratégie de publication est bien hasardeux, mais n'a-t-il pas fait preuve d'opportunisme pour porter certaines de ses pièces à la scène ?
C'est ainsi qu'il triompha dans la querelle suscitée par L'Ecole des femmes. Dans cette pièce, Molière "condamne le statut fait aux femmes", envisage les questions de l'amour et du mariage, de l'accès au savoir. La pièce n'a pas plu aux dévots, mais ce sont surtout les rivaux du dramaturge (dont la troupe de l'Hôtel de Bourgogne) qui vont attiser la querelle. Or, le public fit un triomphe à la pièce et, fort de ce triomphe, Molière écrivit en un acte la Critique de l'Ecole des femmes qui était jouée après la pièce. Il fallait parer aux critiques d'indécence et d'impiété. "D'autres pièces et libelles nourriront la querelle", mais la stratégie de Molière fut payante : il a imposé son œuvre.
Le scandale fut plus grand encore avec, en 1664, la présentation de Tartuffe ou l'hypocrite, pièce interdite de représentation publique et qui fut jouée, remaniée, en 1669. Ce fut bien pire en 1665 où, dans une mise en scène somptueuse, fut présentée Le Festin de Pierre ou l'Astrée foudroyé qui indigne l’Église. La pièce, malgré son succès, ne sera plus représentée du vivant de l'auteur. Elle fit les beaux jours du TNP de Jean Vilar dans les années...1950-1960. Après le Tartuffe, la pièce, connue sous le titre Don Juan, aurait pu faire de Molière un auteur condamnable.
Dans sa version primitive, la pièce Don Juan ne sera reprise qu'en…1841. Mais, apparemment, Molière sut donner le change et même apparaître comme le nouvel auteur moral. M. Poirson (L'Histoire, février 2022) considère que c'est avec Le Misanthrope que s'opéra le tournant. Alceste s'emporte contre les mœurs dissolues et sa critique rejoint celle, chrétienne, de la vanité du monde. Avec L'Avare, le dramaturge dénonce une passion corruptrice. Molière est devenu un auteur moral qui peut s'en prendre impunément à une autre figure de l'autorité, celle du médecin.En poursuivant les charlatans comme les faux dévots, comme eux vêtus de noir et jargonnant en latin, Molière poursuit "la critique de l'hypocrisie, l'imposture, le dogmatisme".
Mais il réussit à le faire en accord avec les autorités de son temps et Louis XIV ne lui retire pas sa faveur.
Il mourut - ironie du sort – après avoir joué Le Malade imaginaire, le 17 février 1673. Sa femme, Armande Béjart, plaida auprès de l'archevêché de Paris (avec l'appui du roi lui-même) pour que Molière ait un enterrement chrétien. On accepta l'inhumation au cimetière de la paroisse de Saint Eustache "sans aucune pompe, avec deux prêtres seulement et hors des heures du jour…"
Molière fut inhumé le 9 mars, accompagné de "700 à 800 personnes, suivies d'autant ou plus de pauvres". Il deviendra l'incarnation du génie national et connaît aujourd'hui un rayonnement universel.
Hervé Le Blanche