Le "moment" de Gaulle
Novembre 2020 est l'occasion de revisiter la vie et l’œuvre de Charles de Gaulle. L'année 2020 est pour cela celle de trois anniversaires : sa naissance en 1890, l'appel de 1940 et son décès à Colombey le 9 novembre 1970. Or lui même aurait affirmé : "La vérité du général de Gaulle est dans sa légende" (1).
Grand artiste de la politique, de Gaulle a sculpté la statue d'un personnage extraordinaire : le général de Gaulle. Comme toutes les légendes, celle-ci a sa part de vérité et surtout, elle a opéré. Ainsi de la place de de Gaulle et de la France pendant la seconde guerre mondiale. Le général a sans doute joué un rôle indispensable de 1940 à 1944, refusant l'armistice, remettant la France dans la guerre avec la France Libre, unifiant la Résistance intérieure.
Mais les Mémoires de guerre dressent le portrait d'une France toute entière résistante, hormis "une poignée de misérables". Comme l'a montré le film de Max Ophüls, "Le chagrin et la pitié", lâches ou même simples attentistes furent plus nombreux que ne le veut la légende gaullienne. De même, sans dénier l'héroïsme des résistants à la Libération, l'apport français aux opérations ne fut pas décisif. Mais de Gaulle imposa la vision d'un pays résistant, par lui-même libéré. Il savait que c'était faux, mais il le fit pour de bonnes raisons, comme l'oubli nécessaire à la réconciliation nationale. Il n'empêche que le mythe a opéré. La France eut une zone d'occupation en Allemagne et un siège au Conseil de sécurité de l'O.N.U.
Et aujourd'hui, très paradoxalement pour ceux qui ont connu cette époque et les férus d'Histoire, de Gaulle est célébré pour son œuvre de décolonisation. Selon l'historien britannique Sudhic Mazareeingh (2), c'est elle qui lui a permis d'acquérir une dimension internationale et il était admiré en dehors de la France "par les nationalistes, les révolutionnaires". De Castro à Arafat en passant, selon notre auteur, par Ben Laden. Or, selon B. Legendre, le de Gaulle de 1944 est attaché à l'empire et porte certaines responsabilités dans le déclenchement des guerres d'Indochine et d'Algérie.
En Indochine, par les consignes de fermeté qu'il donna au haut commissaire et il était président du Conseil en 1945 lors de la répression du soulèvement du Constantinois. Il sut utiliser l'émeute algéroise du 13 mai 1958 pour revenir au pouvoir et, de réticences en faux semblants, après avoir tenté le développement économique, il fit la guerre. Le plan Challe fut un succès. Il offrit, le 16 septembre 1959, l'autodétermination au peuple algérien, croyant pouvoir négocier en position de force. Les dernières années du conflit algérien ne furent pas glorieuses pour Charles de Gaulle (pieds-noirs, harkis), mais la légende voulut qu'après avoir gagné sur le terrain, la France accorda l'indépendance au nom des droits de l'Homme.
Cela ouvrit la voie à un non alignement, tout en respectant l'alliance américaine. Vision géniale ou pragmatisme bien compris ?
1) Bernard Legendre, Le Monde hors série "Charles de Gaulle l'intraitable" ed. 2020, p. 20.
2) Le Monde, id. , p. 62.
Hervé Le Blanche