Patrimoine : l'âne de Montpellier
Non, le quadrupède têtu n'est pas l'animal totémique de Montpellier. Mais l'"Ane d'Or" participe de l'histoire du Clapas et de l'histoire littéraire. La mosaïque à son effigie au carrefour de la rue de l'Aiguillerie et celle de la Carbonnerie est un authentique lieu de mémoire, renvoyant non seulement aux années soixante, mais aussi – et surtout – aux années 20 du XXème siècle.
Les étudiants pourvus de quelques moyens financiers aimaient flâner rue de l'Aiguillerie dans les années soixante. Outre le pittoresque de cette artère ancienne, on y trouvait trois petites librairies de bon niveau. L'Ane d'Or attirait autant par sa mosaïque insolite et sa double vitrine que par la variété des ouvrages à la disposition du chaland. On y trouvait des œuvres en dehors des titres universitaires ou de ceux des éditions plus courantes. Ceux qui n'avaient pas trente ans ne s'interrogeaient pas sur la présence de la mosaïque sur la façade et encore moins de l'enseigne non conformiste, "L'Ane d'Or". Leurs aînés montpelliérains de vieille souche savaient peut-être que ce lieu avait été celui d'une aventure littéraire qui porta les rédacteurs d'une revue d'étudiants à un niveau national. En 1922, des étudiants en droit ou de jeunes avocats délaissèrent La lanterne de Diogène et fondèrent une revue littéraire. Est-ce l'alacrité des réflexions de l'animal magnifié par le poète latin du IIème siècle ap JC, Apulée, qui inspirait leur action ? On le penserait en lisant l'exergue de la revue : "Mais moi, je fus insensible à toute pitié et, d'une ruade, je l'étendis sur le carreau" (L'Ane d'Or, livre IV).
Ces mots sont peut-être la marque d'une rectitude de pensée, peut-être celle d'une certaine exigence intellectuelle. Il est vrai que si les fondateurs se situent politiquement dans la mouvance de l'Action Française, ils ne pratiquent pas l'ostracisme politique. Paul Valéry, qui ne semble pas avoir d'engagement affiché, joua un grand rôle dans la revue, même s'il n'y publia pas. Mais il donne une conférence en janvier 1923 et il fit l'objet de nombreux articles. Et Jean Catel (1891-1950), professeur d'Anglais à l'université, animateur de la vie littéraire et artistique de Montpellier, ouvrira la revue à Jean Cocteau qui sera un des auteurs de référence de la publication.
Les régionaux sont bien présents, mais non pas les régionalistes. Louis-Jacques Thomas (1870-1945), historien de Montpellier, écrira sur Jean Soulairol, poète catholique de Béziers. Pierre Grasset, écrivain confirmé, écrit en 1922 sur la gravure sur bois. Et si G. Duthuit, gendre de Matisse et historien d'art, apporte ses contributions, il faut signaler celles des piliers de la revue : Henri Cabrillac, André Vialles, Eugène Causse, Maurice Chauvet. Tous laisseront une trace dans la vie montpelliéraine.
Et à cette époque, un certain Valéry Larbaud écrit sur la littérature espagnole dans L'Ane d'Or à qui il offre en 1925 Septimanie. L'auteur de Barnabooth sera honoré d'un tirage à part de luxe. Cela l'attachera un peu plus à Montpellier.
Hervé le Blanche