Le spectre du général
Nombre de candidats à l'élection présidentielle se réclament de l'action du général de Gaulle. Il semble bien que l'inconscient de certains soit hanté par la mémoire d'un des personnages importants de l'Histoire de la France contemporaine. Souvent, ils ne l'évoquent que vaguement, comme on le fait des ombres qui reviennent hanter certains lieux. La personne du général disparu devient vague, ectoplasmique, fantastique. Quelques rappels sur son action de 1958 à 1969 s'imposent.
Charles de Gaulle est revenu au pouvoir en 1958, formant un gouvernement régulièrement investi par l'Assemblée nationale. Oui, mais en usant de la menace d'un débarquement en métropole [et d'abord à Paris] de militaires combattant alors en Algérie (M. Winock, Le 13 mai 1958, Gallimard 2008). Ce ne fut pas à proprement parler un pronunciamiento à l'espagnole, mais que de bruits de bottes et de cliquetis d'armes ont accompagné l'octroi de pleins pouvoirs par la représentation nationale ! Le président élu par le Congrès en 1958 ne fut pas un caudillo, n'a pas gouverné au moyen d'une junte militaire. Mais, en 1962, il a instauré ce que de bons esprits ont appelé une "monarchie républicaine", en fait un régime où l'exécutif a la prééminence et qui fut combattu au nom de la lutte contre le "pouvoir personnel". C'est l'époque où F. Mitterrand écrivait Le Coup d'état permanent… La réforme de 1962, soumise à référendum, installait bien une forme de pouvoir personnel. Léon Noël, le président du Conseil constitutionnel de l'époque, fit part au général de ses doutes concernant le recours à l'appel au peuple. Le président du Sénat, Gaston Monnerville, parla de "forfaiture".
La part de l'indignation et de l'outrance polémique étant faite, M. le président du Sénat et celui du Conseil constitutionnel savaient de quoi ils parlaient. Le général outrepassait les principes constitutionnels et créait, tout comme les monarques d'Ancien Régime, une nouvelle source de droit. La République parlementaire à régime représentatif était court-circuitée. Le tout en agitant la menace du chaos en cas d'échec au référendum. Et le général eut son plébiscite. Il se trouva que de Gaulle était un véritable homme d'Etat qui avait le sens des intérêts supérieurs du pays. Mais tout de même, étrange démocratie que celle là. Elle eut l'assentiment de tous ceux qui rêvaient d'un "Etat fort" et d'un "homme providentiel". Etrange république qui rallia les conservateurs de tout poil, dont à Montpellier François Delmas, "le zèbre", qui ne quitta la mairie qu'en 1977. Le bon M. Delmas, porté à la mairie par la vague conservatrice que déclencha le retour de de Gaulle aux affaires, fut un honnête gestionnaire qui se trompa quand il s'agit de concevoir un urbanisme adapté au XXème siècle.
A trop bousculer les principes constitutionnels, à pratiquer un populisme digne de Bonaparte, on pave la voie à un conservatisme étroit, sinon à une "réaction" plus ample. Même l'extrême droite aujourd'hui évoque le spectre du général. Etrange campagne électorale.
Hervé le Blanche